- Traductions latines d’Aristote
- Traductions latines d’AristoteJamais l’Occident n’était resté sans relation avec l’Orient ; mais, à partir des croisades, ces relations augmentèrent beaucoup : la Sicile et l’Espagne, la France méridionale furent les terrains où les chrétiens purent prendre contact avec la philosophie arabe ; les chrétiens paraissent de bonne heure s’être rendu compte qu’ils retrouvaient par elle, dans son ensemble, la tradition de la science et de la philosophie helléniques qui ne leur était arrivée jusqu’ici que par lambeaux, à travers les compilateurs : la médecine, l’astronomie, les mathématiques, en profitent tout autant que la philosophie. Au XIIe siècle, on traduit les œuvres grecques de l’arabe ou de l’hébreu en latin ; et les collèges de traducteurs rappellent ceux qui, quelques siècles auparavant, avaient traduit en arabe les maîtres grecs ; au XIIIe siècle, il se forme des hellénistes qui traduisent directement du grec les œuvres d’Aristote. Dès la première moitié du XIIe siècle, sous la direction de Raymond, évêque de Tolède de 1126 à 1151, Jean d’Espagne traduit la Logique d’Avicenne, et Dominique Gondisalvi, avec l’aide de Jean et du juif Salomon, sa Métaphysique et des extraits de ses œuvres physiques, ainsi que la Métaphysique de Gazali, et l’écrit Sur les sciences de Farâbi ; il traduit encore la Source de vie d’Avicébron. Un autre membre du collège de Tolède, Gérard de Crémone, mort en 1187, traduit plusieurs œuvres d’Aristote, la Physique, le De coelo, le De generatione, les trois premiers livres des Météores ; mais il traduit aussi des œuvres d’Al Kindi, le Canon d’Avicenne, l’Almageste de Ptolémée, le livre des Causes, le livre Des Définitions et Des éléments d’Isaac Israëli. Au début du XIIIe siècle, Alfred l’Anglais apprend l’arabe à Tolède et il traduit en latin un traité Des végétaux, faussement attribué à Aristote. Mais le grand traducteur de l’arabe fut Michel Scot, mort vers 1235 ; il donna les commentaires d’Averroès sur le De coelo et le De anima, et peut-être ceux du De generatione, des Météores et des Parva naturalia. Au milieu du siècle, Hermann l’Allemand, évêque d’Astorga, mort en 1272, traduit son commentaire moyen de l’Éthique à Nicomaque, puis les commentaires de la Rhétorique et de la Poétique. Dès la fin du XIIe siècle, il se trouva en Sicile des hellénistes qui traduisirent directement du grec : avant 1162, Henri Aristippe, archidiacre de Catane, donna le quatrième livre des Météores ; la Syntaxe et l’Optique de Ptolémée, l’Optique d’Euclide, les Éléments physiques de Proclus furent traduits alors. En 1210, on possède à Paris une traduction de la Métaphysique d’Aristote, d’après un texte apporté de Constantinople, et l’on a trouvé à Padoue une traduction latine du même ouvrage, datant de la fin du XIIe siècle. Vers 1215, Alfred l’Anglais traduisait du grec le De anima, le De somno, le De respiratione ; entre 1240 et 1250, Robert Grosseteste, l’évêque de Lincoln, traduisait ou faisait traduire les différentes Éthiques d’Aristote, et peut-être les commentaires d’Eustrate et de Michel d’Éphèse. Vers 1260, Barthélémy de Messine, un familier de la cour du roi Manfred de Sicile, traduit la Grande Morale, les Problèmes, le De Mirabilibus, la Physiognomonie. Enfin Guillaume de Mœrbeke, né vers 1215, et pénitentiaire sous le pape Clément IV (1265-1268), fournit à saint Thomas d’Aquin plusieurs des textes sur lesquels il travaille ; il traduit la Politique (1260), l’Économique (1267), les Commentaires de Simplicius aux Catégories et au De coelo ; la traduction qu’il donna des Éléments théologiques de Proclus permit enfin de reconnaître en eux le livre Des causes, déjà traduit en latin par Gérard de Crémone ; de Proclus il traduisit encore trois traités (De decem dubitationibus circa providentiam, De providentia et fato, De malorum subsistentia), dont l’original grec est actuellement perdu.Tout ce travail de traduction, qui se poursuivit pendant un siècle, indique de la part des Occidentaux une curiosité active : on rencontrait pour la première fois une philosophie systématique et coordonnée, et qui, ni à sa base ni à son sommet, n’avait aucune référence à la foi chrétienne ; tandis qu’il était facile de retrouver dans le Timée ou dans Macrobe quelque chose des dogmes chrétiens, par un commentaire approprié, seul valait pour une pensée telle que celle d’Aristote un commentaire littéral, qui ne laissait aucun espoir d’y trouver le plus faible écho des croyances chrétiennes.
Philosophie du Moyen Age. E. Bréhier. 1949.